News
Immotique et énergie positive
Synthèse de l'émission Parole d'experts du 16 novembre consacrée à l'immotique au service du bâtiment à énergie positive.
A l’heure où nous devons repenser nos usages énergétiques pour accélérer la transition, l’immotique se pose comme un levier central de maitrise de nos consommations. Le 24 novembre dernier, le deuxième épisode de Paroles d’experts de Build & Connect s’est emparé des enjeux du bâtiment 4.0, explorant les liens entre les opérations à énergie positive et l’immotique. Qu’est-ce que l’immotique ? Qu’est-ce qu’un bâtiment à énergie positive ? Quelle est la place de l’usager dans cette relation ? Autant de question sur lesquelles les intervenants se sont penchés.
(le replay est disponible ici)
Le webinar, animé par le journaliste Guy Keckhut, a accueilli trois experts sur le sujet :
• Patrice Barbel, enseignant-chercheur à l’Université de Rennes 1, spécialiste des usages des technologies, des processus d’appropriation et de l’ingénierie de formation, et Conseiller Patrimoine à la Conférence des Présidents d’Université
• Stéphane Marcinak, président de Sauter Regulation SAS
• Thierry Bièvre, président fondateur du Groupe Elithis, leader dans le domaine de l’efficacité énergétique
Immotique et bâtiment à énergie positive : de quoi parlons-nous ?
Notre société fait actuellement face à une transformation économique et sociétale forte, qui nous demande de revoir nos modes de vivre, d’habiter et de travailler. La numérisation apparait alors comme un levier essentiel pour « accompagner les nécessaires changement de vision et de modèle » et « assurer le bien-être et la sécurité des personnes », notamment dans le bâtiment, rappelle Guy Keckhut. Dans ce contexte, de nouveaux concepts et notions apparaissent, dont ceux d’« immotique » et de « bâtiment à énergie positive ». Les définir permet de mieux se les approprier.
• L’immotique
Pour Stéphane Marcinak, l’immotique désigne « l’ensemble des opérations techniques qui permettent d’utiliser et de bien faire fonctionner le bâtiment. Cela comprend les logiciels qui pilotent les infrastructures de chauffage, de ventilation, etc. » Thierry Bièvre complète : « cela va même au-delà : c’est un système d’information qui permet à l’usager d’avoir une bonne compréhension de son mode de vie, donc de réduire sa consommation énergétique ». Cela passe donc par la collecte de données : « il est important d’accumuler des données pour améliorer l’apport de la domotique », rajoute Stéphane Marcinak. Cela fait du bâtiment une véritable « plateforme de service », selon Patrice Barbel.
• Le bâtiment à énergie positive
Selon Stéphane Marcinak, un bâtiment à énergie positive est « un bâtiment capable de produire plus d’énergie qu’il n’en consomme », à condition de bien « maintenir dans la durée la positivité du bâtiment » une fois livré. En effet, insiste-t-il, il est essentiel d’avoir de bonnes équipes de maintenance et gestion et de recourir à des outils pour « mesurer l’évolution de la performance et mener des actions collectives » afin de garantir la positivité dans le temps. Patrice Barbel précise : les bâtiments à énergie positive consistent à « avoir un coût de fonctionnement le plus faible possible ». « C’est un changement de modèle économique », qui ne se base plus sur les énergies fossiles. Il rajoute : cela demande de « travailler sur l’enjeu de la sobriété et la capacité d’énergie disponible ». Produire de l’énergie, voire la redistribuer dans un quartier.
Ces définitions amènent à des questionnement plus vaste, développés par Patrice Barbel : « il faut aller au-delà des termes qui apparaissent », affirme le chercheur. Il aborde notamment l’enjeu de frugalité soulevé par l’immotique et le bâtiment à énergie positive : « il faut rester dans cette frugalité qui permet de construire de nouvelles valeurs, une qualité de vie et une durabilité qui me paraissent importantes ».
Les enjeux techniques du bâtiment 4.0
Ces nouveaux concepts amènent à une révolution technique dans le domaine du bâtiment. En effet, pour Patrice Barbel, les nouveaux modes d’habiter demandent un autre mode d’organisation du travail, basé sur une meilleure planification et anticipation ainsi qu’une « convergence technologique ». Selon les intervenants, la transition soulève de multiples enjeux techniques :
• Un enjeu de métier. Il faut dé-siloter les différents métiers du bâtiment afin de repositionner l’acte de construire et faire le lien entre les professionnels et les usagers : « il faut apprendre à comprendre les acteurs qui se positionnent, croiser les regards, avoir une approche pluridisciplinaire » et également « comprendre l’habitant, l’usager, le client », détaille Patrice Barbel. Le chercheur insiste notamment sur le rôle clef de l’exploitant dans cette articulation.
• Un enjeu de produits et services. « Il nous faut définir la logique de produits et de service dans notre domaine », explique Patrice Barbel. « Cela interroge la question des moyens et des résultats » de ces éléments. L’évolution des produits et services proposés suit deux dynamiques concomitantes : d’une part, une complexification de la technologie, d’autre part une simplification des usages. « Nous devons avoir des dispositifs qui marchent tout de suite, dès la mise en service ». C’est ce que propose Sauter avec son produit Modulo 6, par exemple, qui permet de gérer, stocker et sécuriser des données à partir d’une interface très intuitive. « Les services aux concitoyens que l’on apporte à travers les technologies doivent leur permettre de s’emparer de la transition écologique », insiste Thierry Bièvre. « Plus nous serons nombreux à faire des écogestes quotidiens, plus vite nous sauverons la planète ».
• Un enjeu de conception durable. En effet, la conception prend en compte de nouveaux enjeux comme le bilan carbone, l’économie circulaire, l’obsolescence programmée, etc. Selon les intervenants, il est nécessaire de réinterroger les méthodes et les objectifs de la conception. « Le collaboratif est essentiel », précise Patrice Barbel. « Nous parlons souvent du BIM qui peut accompagner un bâtiment de la conception jusqu’à sa fin de vie ». Il insiste également sur l’importance de ne pas se concentrer uniquement sur le neuf, au détriment des projets de rénovation durable.
• Un enjeu de formation. La bâtiment 4.0 demande de travailler de façon interfilière, et ce dès la formation. Des sujets comme le commissionnement et l’exploitation doivent être présents dans les cours, affirme Patrice Barbel. Il est également important d’anticiper les besoins des entreprises dès la formation.
Les usagers au cœur du bâtiment 4.0
Les trois intervenants s’accordent sur l’importance de l’usager dans le bâtiment 4.0. La conception et les produits et services développer doivent permettre de répondre aux demandes de l’utilisateur. « C’est la qualité d’usage qui est importante aujourd’hui », affirme Thierry Bièvre. « Le bâtiment à énergie positive doit répondre aux besoins de l’usager ». Il complète : « le bâtiment doit permettre à l’usager de gommer totalement ou partiellement sa facture d’énergie », ce qui est d’autant plus essentiel dans le contexte actuel d’augmentation de la précarité énergétique. Stéphane Marcinak confirme : « aujourd’hui, on nous demande de faire des solutions pour anticiper des besoins de l’utilisateur et lui permettre d’être satisfait ». Pour le président de Sauter Regulation SAS, cette évolution des produits et services est possible grâce aux moyens technologiques actuels.
Au-delà de la prise en compte des intérêts des utilisateurs, il est essentiel de les intégrer dans l’immotique. Cette condition est nécessaire pour diffuser les bons gestes et ainsi garantir les bonnes performances d’un bâtiment. Thierry Bièvre insiste ainsi sur l’importance de laisser à l’usager la possibilité de s’approprier le bâtiment, les applications, etc. : « il faut donner de l’accessibilité et de la compréhension » à l’usager. Patrice Barbel alerte cependant sur l’enjeu de fracture numérique : « les modalités d’appropriation vont dépendre d’une compétence d’usage ». De plus, il note l’existence d’« une certaine méfiance envers les algorithmes ». Pour le chercheur, il est donc indispensable de rendre accessible aux usagers les concepts sous-jacents au bâtiment à énergie positive, pour lui donner les clefs pour s’emparer du sujet.
La tour Elithis Danube, un bâtiment démonstrateur du 4.0
La groupe Elithis est connu, entre autres, pour ses tours particulièrement innovantes qui visent l’énergie positive, la mixité des usages (bureaux, logements) et la réduction drastique des factures énergétiques. La tour Elithis Danube, située à Strasbourg, est la première tour à énergie positive du monde. Conçu selon des principes bioclimatiques, le bâtiment permet également « une forme de frugalité par rapport à l’espace au sol », témoigne Thierry Bièvre. De plus, la tour est équipée de nombreux panneaux photovoltaïques, « disséminés sur les toits et les façades », qui couvrent 108% des besoins énergétiques du bâtiment. Enfin, des systèmes domotiques ont été mis en place afin d’optimiser les consommations énergétiques des usagers et de les intégrer pleinement dans la maitrise de leurs factures.
Grâce à ces éléments, 6 ménages sur 10 ont une facture énergétique inférieure à 0 : ils gagnent de l’argent grâce à la production du bâtiment. Les autres familles ont vu une facture extrêmement basse. Dans un court extrait vidéo diffusé lors du webinar, certains habitants de la tour ont pu partager leur expérience. Ils témoignent notamment de la création de liens entre eux, de la mise en place d’une communauté interne au bâtiment, autour des réductions des consommations énergétiques.
« Ce modèle est basé sur la méthode, sur la qualité de vie et les usages », complète Thierry Bièvre. « Nous avons mis au point une méthode de management de projet où nous nous focalisons sur les acteurs autour du projet », ce qui permet d’intégrer pleinement les habitants, mais également les entreprises de la conception et construction. L’objectif du groupe Elithis est ainsi d’essaimer 100 projets sur ce modèle en Europe.
Bâtiment 4.0 et protection des données
L’immotique pose la question de la collecte, du stockage et de la protection des données. Comment assurer aux utilisateurs cette sécurité ? Pour Patrice Barbel, il s’agit de trouver le bon équilibre entre faire remonter les données au niveau central ou les conserver à l’échelle locale. Il faut ainsi se demander ce qui est nécessaire de remonter ou non. Par exemple, le MODULO 6 de Sauter permet de séparer le réseau du bâtiment de celui d’internet, afin de bien conserver les données au niveau local.
Stéphane Marcinak insiste également sur l’importance de mettre en place des routines de vérification des installations techniques, de bien respecter les règles de l’art de l’immotique et surtout d’éduquer les usagers à la gestion des données : « nous travaillons beaucoup sur la mise en place de gouvernance via la digitalisation pour éduquer les gens ».
De son côté, Thierry Bièvre appelle à la vigilance quant aux capacités de la cybersécurité : « il faut être très prudent sur le fait que nous sommes capables de protéger les données en permanence. Toutes les technologies sont contournables. » Pour lui, « il faut garder une intelligence humaine derrière les bâtiments » afin de réduire les risques de vols de données.
Quelles perspectives pour le bâtiment 4.0 en France et en Europe ?
« Nous avons un savoir-faire en France, c’est très clair », affirme Patrice Barbel à propos du bâtiment 4.0. L’enjeu à présent, selon le chercheur, consiste à réussir le passage à la massification à partir des bâtiments démonstrateurs. Pour Stéphane Marcinak, il faut également « une meilleure formation et information de l’usager » : « nous ferons le grand virage quand les gens auront une meilleure connaissance des services digitaux ». « Il faut passer de faire pour, à faire avec », complète Patrice Barbel, confirmant ainsi l’importance d’intégrer l’utilisateur dans les projets. Enfin, le chercheur insiste sur la nécessité de penser le bâtiment dans son environnement dans les projets à venir : « nous avons besoin de proximité aujourd’hui, de faire du lien au niveau local ». Cela implique de réfléchir à l’échelle du quartier : « nous avons besoin de renouveler la vie de quartier », « c’est un enjeu d’économie sociale et solidaire ».
Du côté de l’Europe, d’après Stéphane Marcinak, deux tendances peuvent s’observer : d’une part, l’Europe du Nord et saxonne, très sensible aux enjeux énergétiques et du bâti, d’autre part, l’Europe latine, où la condition centrale des projets est d’avoir un retour sur investissement court. « La France se situe entre les deux », affirme le président de Sauter Regulation SAS. Pour Thierry Bièvre, « La France n’est pas à la traine, nous sommes beaucoup plus créatifs » que d’autres pays : « nous sommes capables d’être explorateurs, d’apporter une vision plus humaniste au design, à la conception, à l’industrie ». Selon lui, cela nous permet de ne pas se tromper de cible : le bâtiment en lui-même ne doit pas être la finalité des projets, cela doit être l’usager.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.