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Démolir pour reconstruire ou rénover ?
Intervenants : Julien Burgholzer, EGIS Bâtiment Grand Est - Fabrice Knoll, Knoll Architecture - François Liermann, Conseil Régional de l’Ordre des architectes Grand Est - Marjolaine Meynier-Millefert, députée de l’Isère
Modérateur : Julien Borderon, Bâtiment Construction-Immobilier CEREMA Est
Deux modes de construction semblent s’opposer dans la recherche du zéro impact environnemental : d’un côté, la démolition-reconstruction, et de l’autre la rénovation. Pourtant, cette opposition apparente peut (et doit) être dépassée, pour que tous les bâtiments, neufs comme rénovés, puissent se tourner vers le zéro impact environnemental. Animée par Julien Borderon, chef du groupe Bâtiment Construction-Immobilier CEREMA Est, la table ronde a accueilli Julien Burgholzer, directeur général adjoint Egis bâtiment Grand Est, Fabrice Knoll, architecte chez Knoll Architecture, François Liermann, vice-président du Conseil Régional de l’Ordre des architectes Grand Est , et Marjolaine Meynier-Millefert, députée de l’Isère, co-animatrice du plan de rénovation énergétique des bâtiments.
Introduction
Julien Borderon a introduit la table ronde avec un rappel de définitions autour de la notion de rénovation. Dans le bâtiment, « rénover égal refaire à neuf », tandis qu’en urbanisme le terme de rénovation urbaine « comprend une part de démolition ». C’est bien le premier sens qui est traité dans la table ronde. Il mentionne également la définition de la réhabilitation : « réutiliser l’existant et le remettre en usage, en fonctionnement satisfaisant ». Julien Borderon revient également sur la particularité de la France, où des grands mouvements de rénovation se sont succédés au fil des ans, ce qui est à prendre en compte dans les différents chantiers. Enfin, il rappelle que le secteur de la démolition représente environ 13 milliards d’euros par an. C’est donc un élément central dans le secteur du bâtiment, qui lui représente 150 milliards d’euros. Le sujet est donc : « qu’est-ce qu’on peut faire dans le sens du carbone » pour ce marché ?
L’arrivée du carbone dans les normes
Selon Marjolaine Meynier-Millefert, « on est en train de voir une évolution dans le secteur du bâtiment ». Elle constate qu’auparavant, les normes ne traitaient que des économies d’énergie. Avec la RE2020, « la question du carbone s’impose ». Julien Burgholzer le confirme, il ne faut pas se concentrer uniquement sur les performances énergétiques, ce qui est encore trop le cas. Il recommande une approche globale du bâtiment. François Liermann est également de cet avis : « au fur et à mesure, on a appris à faire des bâtiments basses consommation, mais en intégrant beaucoup d’énergie grise à l’intérieur ». Il faut joindre les deux objectifs à présent : la sobriété énergétique et l’impact carbone.
Pour ce faire, Julien Burgholzer insiste sur l’importance de l’Analyse de Cycle de Vie (ACV), expérimentée dans le cadre d’E+C-, qui s’impose dans le bâtiment. Elle permet en effet de « mesurer le poids carbone de nos projets et comparer les options qui s’offrent à nous en tant que maitre d’œuvre ».
La rénovation : un chantier inévitable
Les intervenants s’accordent sur le fait que la rénovation est un chantier inévitable. D’après François Liermann, « le renouvellement par le neuf représente environ 1% » du bâti. Même s’il faut effectivement travailler sur les performances énergétiques et carbone du neuf, il n’est donc pas envisageable de passer à côté de la rénovation du bâti existant. En France, 1/3 des bâtiments datent d’avant 1948 et sont construits avec des matériaux anciens. 1/3 se situent entre 1948 et 1975, date des premières réglementations thermiques, et enfin 1/3 de 1975 à nos jours. La rénovation du bâti existant est donc un très grand chantier.
Pour Marjolaine Meynier-Millefert, jusqu’à présent, les sujets ont été très cloisonnés : « il y avait le neuf d’un côté et la rénovation de l’autre ». « Aujourd’hui, on va vers une forme de convergence des sujets » : les performances des bâtiments rénovés doivent se rapprocher de celles des bâtiments neufs. Julien Burghoizer confirme : « les expériences récentes l’ont montré : si on parle uniquement de l’aspect consommation d’énergie, sur des opérations de rénovation, on arrive à tendre vers des niveaux de consommation qui seraient ceux d’un bâtiment neuf ». Attention cependant, pour que cela soit efficace, « il faut effectuer des rénovations énergétiques les plus globales possible », et éviter des travaux « éléments par éléments », qui ne sont pas coordonnés.
Réduire l’empreinte carbone du bâti grâce à la réutilisation de l’existant
Selon les intervenants, réutiliser l’existant est un levier efficace pour diminuer l’impact carbone du bati. D’après Julien Burgholzer, « la matière, c’est les 2/3 du bilan carbone d’une construction en moyenne ». Marjolaine Meynier-Millefert complète : « dans un bâtiment neuf performant, entre 60 et 90% de l’impact carbone se trouve dans la phase de construction ». En revanche, comme le soulève François Liermann, « le chantier et la déconstruction émettent très peu de carbone ». Pour Marjolaine Meynier-Millefert, réutiliser les matériaux permet donc de faire des économies sur « ce qui coûte le plus en carbone dans la construction neuve ». De plus, si les matériaux viennent de chantiers voisins, cela limite les transports nécessaires et les émissions associées.
Dans les bâtiments anciens, d’après Marjolaine Meynier-Millefert, c’est plutôt la mauvaise performance thermique associée à un mode de chauffage carboné qui vont générer du CO2. Il faudra se concentrer sur les différents équipements et systèmes énergétiques, ainsi que sur l’isolation.
Selon François Liermann, il est important de porter une attention particulière au type de matériaux que l’on va réutiliser. Ils n’ont pas tous le même impact carbone lors de leur fabrication. Les matériaux très industrialisés sont les plus émetteurs de carbone, alors que les biosourcés sont les moins chargés. Point positif : il y a un grand gisement de bâtiments disponibles. « On a un stock de bâtiments existants qui est gigantesque ». Il y a donc du choix dans les matériaux à réutiliser.
Apprendre à réutiliser l’existant
Les différentes possibilités de réutilisation de l’existant
Julien Burgholzer vient apporter de la nuance à l’opposition entre démolition et rénovation. Il détaille plusieurs formes de réutilisation de l’existant. « D’autres possibilités un peu plus fines s’offrent à nous » pour limiter l’impact carbone des bâtiments : réutiliser les structures existantes (car la structure pèse lourd dans le poids carbone), réemployer les matériaux in situ ou ex situ, ou encore avoir recours à des procédés de construction bas carbone sur tous les lots en neuf.
Fabrice Knoll détaille la solution du changement d’usage. Selon lui, « on peut toujours arriver à donner une autre destination à un bâtiment ». « Dans 99% des cas, on peut se permettre de rénover, de restructurer, de donner une nouvelle vie à un bâtiment ». Pour réussir le changement d’usage, il faut se demander ce que le bâtiment exprime au sein de son environnement. « Les gens cherchent du sens », la rénovation permet de se questionner sur notre histoire, de la retrouver.
Attention cependant, selon François Liermann, « il faut uniformiser la méthode, mais surtout pas les solutions » dans la réutilisation de l’existant. Cette méthode consiste à effectuer des bons diagnostics, afin de bien connaître le patrimoine, via des études préalables qui peuvent se décliner de terroirs en terroirs.
Retour d’expérience : les contraintes de restructuration d’un hôtel dans le Marais, à Paris
Fabrice Knoll présente la restructuration d’un hôtel parisien, dans le Marais. Cet espace, peu prisé dans les années 60, a aujourd’hui une grande renommée. Les porteurs du projet ont dû faire face à de multiples contraintes afin de pouvoir réutiliser l’existant. En effet, l’hôtel contenait des vestiges historiques, dont un mur composé des pierres appareillées, possible reste de l’ancien cloître Sainte-Catherine. De plus, la structure du bâtiment, en bois et pierre, avait été complexifiée au fil des anciennes rénovations. Il y avait par exemple une poutre qui aurait été utilisée dans un bateau auparavant. Les travaux de restructuration ont donc dû prendre en compte ces éléments. Pour Fabrice Knoll, cela nécessite d’avoir un maitre d’ouvrage et un Architecte des Bâtiments de France engagés sur les questions environnementales, historiques, urbaines et architecturales.
Former les acteurs du secteur
Selon les intervenants, la formation est un levier indispensable du bas carbone. Selon Marjolaine Meynier-Millefert, « le sujet, c’est de rendre toutes ses compétences accessibles à tous ». Pour l’instant, la rénovation, « ce n’est pas à la portée de tout le monde ». Or, le secteur du bâtiment a perdu 250 000 emplois dans les dernières années, notamment suite aux départs à la retraite pas remplacés et à la baisse du nombre d’élèves dans les formations. Pour la députée, il faut miser sur le « décloisonnement des compétences », ainsi que réduire la fracture numérique : toute entreprise du BTP doit pouvoir s’approprier les outils BIM. Julien Burgholzer est également de cet avis : il est nécessaire d’avoir un « décloisonnement complet des façons de concevoir un projet, entre les acteurs » pour atteindre la neutralité carbone. Enfin, François Liermann insiste sur l’importance de : « renouveler les savoir-faire avant qu’ils disparaissent ». Le réemploi, par exemple, demande de savoir déposer/poser les matériaux concernés. Il faut donner sens à des gestes comme le réemploi, afin de pouvoir les démocratiser.
La densification en question
Dans les questions posées en fin de table ronde, une personne du public a soulevé l’enjeu de la densification : ne vaut-il pas mieux essayer de rénover et restructurer en densifiant l’habitat, afin de limiter l’artificialisation des terres ? Pour Fabrice Knoll, « il n’y a pas de règle générale ». La densification va dépendre des caractéristiques et besoins de chaque bâtiment. « Ce n’est pas une panacée non plus ».
François Liermann reconnait que densifier a l’avantage d’« économiser du foncier ». Selon lui, « densifier, c’est aussi transformer ». Par exemple, à la campagne, comme les maisons sont grandes, il est possible de faire deux logements à partir d’une maison. Il n’est donc pas forcément nécessaire de grignoter des terres, comme le font les lotissements pavillonnaires. En revanche, il admet que la densification peut engendrer « un problème de véhicules », en créant une hausse de la mobilité locale. D’un autre côté, comme le défend Fabrice Knoll, la densification peut ramener de la vie dans les villages : « si [densifier] permet de recréer de la vie dans des villages abandonnés par cette densification interne, je trouve que c’est une bonne solution ».
Finalement, Marjolaine Meynier-Millefert observe que la densification souffre d’une mauvaise image dans les imaginaires. Alors que densifier, ce n’est pas forcément « tout bétonner et perdre un lien avec la nature ». C’est aussi proposer de nouveaux services diversifiés, ce dont les petits villages manquent.
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