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Le Big data pour faciliter le ré-emploi des matériaux de construction Le Big data pour faciliter le ré-emploi des matériaux de construction
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Le big data pour faciliter le réemploi

20 janvier 2022 Économie circulaire
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Alors que le réemploi connait un développement encore timide dans le secteur du bâtiment, le big data pourrait bien devenir un levier important pour lancer la filière. Entretien avec Chloé Bosquillon, Responsable bâtiments circulaires chez Upcyclea, et Véronique Thiery, Chargée d’opérations chez Vosgelis. Elles reviennent sur les enjeux du big data et du réemploi, en s’appuyant sur l’exemple d’une opération de démolition-reconstruction menée à Remiremont par Vosgelis, avec le groupement Fibres-Energivie /  Upcyclea en tant qu’AMO.

 

Quels sont les enjeux autour du réemploi dans le bâtiment ?

Chloé Bosquillon : Le réemploi est une nécessité dans le secteur du bâtiment. Aujourd’hui, le BTP génère 70% des déchets de France, il utilise 35% des ressources naturelles et représente 26% des émissions directes de carbone du pays. A l’heure de la transition écologique, il est indispensable de faire baisser ces chiffres, notamment grâce au réemploi.

C’est pourquoi il est essentiel de considérer les bâtiments comme des gisements, ou encore comme des banques de matériaux. Il faut réfléchir dès la conception à la démontabilité du bâtiment et de ses éléments, aux utilisations futures des matériaux qui le composent. Il faut également apprendre à identifier les ressources présentes dans les bâtiments et leurs possibilités de réemploi. Cela s’applique également au parc existant, qui n’a pas été éco-conçu.

Véronique Thiery : Le réemploi permet d’atteindre plus d’autonomie au niveau national. Avec la pandémie, nous avons pris conscience de notre dépendance aux échanges internationaux. Réutiliser des matériaux déjà présents sur le territoire est un levier important pour plus gagner en autonomie et en résilience dans le secteur de la construction. En parallèle la gestion des déchets de chantier pour préserver les ressources de la planète devient une urgence environnementale eu égard à la forte consommation du secteur du bâtiment.  

 Dépose des matériaux dans la déconstruction sélective

Quels points de blocage rencontrez-vous au quotidien dans la mise en place du réemploi ?

Véronique Thiery : un des premiers points de blocage important que nous rencontrons concerne la phase de démontage. En effet, il est nécessaire de démonter très soigneusement les éléments afin d’en assurer le réemploi et le reconditionnement. Or, cela demande des méthodes et des expériences que les acteurs du secteur n’ont pas encore forcément. Faute des délais supplémentaires et du surcoût que cela engendre, peu de bâtiments sont aujourd’hui déconstruits dans ce but (le recyclage demande moins de précision).  

Un autre point de blocage est le manque de structuration de la filière de l’économie circulaire, qui s’explique notamment par la faible demande en matériaux de réemploi.

Chloé Bosquillon : Effectivement, la dépose et le développement de la filière sont deux freins importants. Nous pouvons également citer le manque d’information sur les gisements existants. Il est assez compliqué pour les porteurs de projets qui souhaitent utiliser des matériaux de réemploi de connaitre et d’identifier les ressources disponibles autour de leurs chantiers. A l’inverse, les maitres d’ouvrage et maitres d’œuvre qui souhaitent démonter certains éléments lors d’une démolition ne sont pas certains de trouver un repreneur derrière, ce qui risquerait de générer un surcoût injustifié.

Véronique Thiery : Enfin, le blocage juridique le plus important est la question de l’assurabilité des matériaux et des matériels. Afin que les garanties décennales des entreprises soient validées et conséquemment que les bâtiments puissent être couverts par l’assurance dommage-ouvrage du maître d’ouvrage, les contrôleurs techniques et assureurs contrôlent que les ouvrages réalisés sont conformes aux prescriptions mentionnées dans les DTU et avis techniques. Or ces documents et avis ont été formulés sur la base de matériaux et produits neufs et non pas sur des produits issus du réemploi. Sur le programme de Remiremont, nous devons donc trouver des méthodologies de contrôle pour prouver que les caractéristiques techniques des matériaux issus du réemploi sont au même niveau que celles d’un matériau neuf. Il faut également trouver les interlocuteurs prêts à engager leurs responsabilités dans la démarche (contrôleurs techniques, compagnie d’assurance). Concernant les matériels (comme les chaudières par exemple), la question de la perte de l’assurance constructeur est également un frein au réemploi.



En quoi le big data peut lever ces blocages ?

Véronique Thiery : Le réemploi à grande échelle dans le bâtiment me semble infaisable sans un outil informatique qui permettrait de connaître les gisements (produits / localisations) et leurs dates de disponibilité (temporalité). Il faut en effet grandement faciliter le sourcing afin de motiver les entreprises à proposer des produits en réemploi. Il est important d’avoir un big data simple d’utilisation et accessible au plus grand nombre pour que le réemploi fonctionne. Les deux principales difficultés de la mise en œuvre d’un tel outil sont de définir les paramètres techniques des gisements à compiler d’une part et assurer le suivi des stocks disponibles dans le temps d’autre part.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’opération menée par Vosgelis avec le groupement Fibres-Energivie- Upcyclea à Remiremont ?

Véronique Thiery : Cette opération consiste en la déconstruction de quatre bâtiments des années 1930 afin de construire 26 logements et l’agence commerciale Vosgelis. Dans un premier temps, nous avons fait des études pour analyser le potentiel de réhabilitation des bâtiments. Les études réalisées ont conclu que la conception des bâtiments ne permet pas la remise à niveau des logements eu égard aux contraintes actuelles et aux besoins de ses clients (accessibilité, acoustique, thermique, habitabilité) et ce malgré le lourd investissement qui pourrait être apporté. C’est à partir de ce constat qu’une opération de déconstruction et reconstruction a été engagée et VOSGELIS a alors décidé d’intégrer le réemploi à la démarche.

Nous avons souhaité faire de ce projet une opération iconique et exemplaire, que ce soit au niveau architectural ou au niveau de l’économie circulaire. Nous voulions un bâtiment, facilement transformable et démontable, composé de matériaux et produits avec un impact environnemental le plus faible possible. Nous souhaitons faire la part belle aux matériaux locaux tels que le granit et le bois des Vosges. Enfin, nous demandons à la maîtrise d’œuvre de rechercher à utiliser un maximum de matériaux en réemploi. En plus de ce travail sur les matériaux, nous avons travaillé sur les économies d’eau potable dans la phase réalisation et exploitation du bâtiment. L’opération sera labelisée suivant le référentiel CERQUAL NF HABITAT HQE - niveau supérieur - profil économie circulaire, et le bâtiment visera le niveau E3C2 du référentiel E+C-.

 Opération déconstruction réemploi à Remiremont

Le logiciel MyUpcyclea a été utilisé pour cette opération. En quoi a-t-il favorisé le réemploi dans le projet ?

Chloé Bosquillon : Le logiciel MyUpcyclea permet de caractériser la capacité de transformation des matériaux, d’identifier les filières de réemploi disponibles et de faire office d’outil de formalisation des filières de valorisation. Nous avons développé ce logiciel afin d’agréger des données sur les gisements de réemploi et de recenser les besoins des maitres d’œuvre et maitres d’ouvrages, pour mieux les faires communiquer.

MyUpcyclea intervient sur toutes les étapes de la vie d’un bâtiment, notamment au niveau du diagnostic Produits Matériaux Déchets (PMD). Les utilisateurs peuvent importer leur diagnostic sur la plateforme, contribuant ainsi à renseigner les opérations de déconstructions du territoire et les matériaux disponibles issus de ces chantiers. L’utilisateur peut ainsi avoir des informations sur le lieu du produit, les quantités, leur état, leur capacité de démontabilité, etc. Le logiciel assure également la traçabilité du matériau, de la dépose jusqu’à la réutilisation, le tout accompagné d’indicateurs sur le bilan carbone, environnemental et économique de l’opération.

Le logiciel a également une casquette d’éco-conception. Il permet de comparer les matériaux de sa base de données entre eux, grâce à un passeport circulaire qui leur est attribué.  

Véronique Thiery : Dans le cadre de l’opération de Remiremont, nous avons fait appel à Upcyclea et à leur logiciel pour nous aider à conceptualiser le bâtiment neuf afin qu’il puisse devenir une banque de matériau à sa déconstruction. Grâce à l’outil, nous souhaitons numériser l’entièreté des ressources et connaitre les potentiels de réemploi de chaque matériau enregistré.

 

Est-ce que les acteurs du bâtiment s’emparent facilement des outils numériques ?

Véronique Thiery : L’appropriation de nouveaux outils numériques demande beaucoup de temps aux professionnels du bâtiment par ailleurs déjà fort occupés par les tâches de gestion de leur entreprise. La plupart d’entre eux utilisent déjà de nombreux logiciels et la compatibilité entre ceux-ci n’est pas toujours chose aisée. Dans le cadre du réemploi, un grand travail de sensibilisation devra donc être mené pour que les acteurs du bâtiment puissent s’approprier les plates-formes qui sont en cours de création et ce, qu’il s’agisse des maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre d’une part ou des entreprises d’autre part (des dirigeants d’entreprise jusqu’aux petits artisans).

Chloé Bosquillon : Nous commençons à voir une transition qui s’opère sur les chantiers. Cependant, il y a encore un gros effort de pédagogie et de montée de compétence à mener. Nous ne pouvons pas demander à un petit artisan de maitriser tous les points du réemploi, c’est trop compliqué et cela représente beaucoup de contraintes pour eux. A l’heure actuelle, ce sont plutôt les maitres d’ouvrage et maitres d’œuvre qui vont avoir le rôle de « chef d’orchestre » pour l’économie circulaire. Ils vont venir accompagner les artisans dans le réemploi, notamment dans la maitrise des outils numériques, ce qui est absolument nécessaire.

 

 




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